Tadart g\'Ighil-bouamas

Tadart g\'Ighil-bouamas

Tadart Negh

                                                      Ath Voudrar

 

 Samedi 25 Septembre 2010

 

 La Kabylie est un haut lieu de sauvegarde de l’Amazighité à travers les siècles. Elle en est le berceau de par sa géographie faite de monts et de montagnes. Ses habitants, immigrants par vagues vers ces hauts lieux, préféraient une vie de privations pour sauver leur dignité, le Nif. Battus par les armes par des envahisseurs ou optant pour une vie de  liberté que de Oukazes de despotes, ils s’accommodèrent de terres pauvres des monts feratus. Ces citadelles à ciel ouvert, à cheval entre le désert et la méditerranée, resteront longtemps régies parce qu’il y avait de meilleurs chez leurs ancêtres. Qui des Grecs ou des Berbères ont les premiers géré leurs cités par la djemaa, cette école de civisme et d’humanisme ?

Des pouvoirs locaux (les Zianides, les Hamadites, les Ottomans, celui de l’Etat de Kouko) ou les invasions  d’étrangers n’ont pu contrôler cette région. De vrais cités démocratiques durant des siècles.

Les premiers envahisseurs à casser El-Harma de la montagne furent les français. Les crimes des hordes commandées par des Randon et leurs sinistres sbires sont ce qu’il y a de plus barbares que l’Homme ait connu. Ils s’attaquèrent à ces montagnes alors qu’ils venaient de soumettre toute l’Algérie, d’Est en Ouest, du Nord au Sud.

Le Dey Hussein, roitelet de la Régence d’Alger, signa sa soumission le 5 juillet 1830, moins d’un mois après le débarquement des hordes françaises sur la cote ouest algéroise, pour livrer l’Algérie au nouvel envahisseur. Il prit soin de sauver et de rapatrier ses compatriotes de souches turques, leurs biens y  compris.

Dans l’Ouest du pays, l’émir AbdelKader a combattu les hordes d’envahisseurs mais finit par déposer les armes pour vivre un exil doré en Syrie au compte de l’empire français, loin des râles des victimes de la nouvelle civilisation judéo-chrétienne.

Ahmed bey résista jusqu’à sa mort dans l’Est du pays, dans la terre de sa chère maman.

Aux combats légendaires des troupes de Fadhma N’Soumer, les  prétendus civilisateurs opposèrent le massacre et la rapine. Cheikh Ahadad  appela, cinquante ans après que les Français soumirent toute l’Algérie, à une guerre d’honneur, à un soulèvement qui embras(s)a l’Algérie du centre et de l’Est. Il savait que la guerre était perdue. Il tenait à ce que le fossé se creuse davantage pour que personne n’oublie. Ce fut le début de la résistance passive. La démarcation. Cette forme de résistance sauvegarda la personnalité et l’identité amazighe  qui a survécu à travers les siècles dans ces montagnes. 

Tout  en demeurant inaccessible,  le réflexe de survie de ses habitants les a poussé à émigrer pour travailler et faire vivre décemment leurs familles. La montagne ne pouvait subvenir à une population qui ne faisait que croître et une terre qui s’appauvrissait de plus en plus. La densité du peuplement des montagnes de Kabylie était à la veille du 1er novembre 1954  la plus forte d’Algérie et aussi de par le monde. Des conflits naissaient pour des arpents de terre entre frères, entre familles. Elle était sacrée, cette sacrée terre.

Mais cette région qui se trouve à équidistance des terres de Tamazgha , devenue le cœur de ce qu’était l’Amazighité, deviendra dès le 1er novembre 1954 le centre événements qui dépassent la région.

Le village d’Ighil-bouamas anciennement Ath Voudrar, chef lieu de l’arche du même nom aujourd’hui devenu Iboudrarene, va subir et connaître une évolution à l’opposé des sacrifices de sa population et de cette terre hospitalière.

Le chef lieu de l’arche Ath Voudrar étaient le plus proche du grand marché de la région, Souk El Djemaa. Faisant face aux Ath Yiraten, il se trouve à équidistance des  autres arches Ath Ouacif, Ath Yani, Ath Menguelet, Akvil, Atafen. Toutes les terres étaient cultivées et entretenues. Les maquis et la foret avaient reculé. L’arboriculture était florissante. L’olivier prédominait de par la basse altitude de ses terres. Il y avait au moins trois pressoirs à huile. Un moulin à eau, situé dans la rivière séparant Atafen et Ath Voudrar, rendait service à la population. L'élevage des bovins était le plus prisé. Cet élevage entrait dans l'économie d'autosuffisance alimentaire. Celui des ovins et des caprins étaient jugés comme nuisibles à la végétation.   

Les premiers missionnaires chrétiens de l'empire colonial laïque à s’enfoncer au pied du Djurdjura jetèrent leur dévolu sur Ath Voudrar, actuel Ighil-Bouamas, pour s’installer. Les tentatives des religieux chrétiens furent vaines car les anciens ne voulaient pas de leur installation chez eux. Les missionnaires finirent par opter pour les Ath Yani et Thaourirt Ath Menguelet.

Le village bénéficia de l'ouverture d'une école dès 1894. 

 

Novembre 1954 serait-il la fin d'un monde ou la naissance d'un monde nouveau? 

 

Nous quittâmes l'enfance comme on en sort d'un cauchemar d'une nuit qui ne veut pas en finir. C'est ainsi que je pourrais imager la nuit coloniale et cette guerre qui brisa nos repères juvéniles! Pour les monts ferratus, rien n'a changé. Mais pour nous, enfants entre deux mondes, Il y a un avant et un après  la guerre  d'indépendance. Notre univers était simple, limité à l'horizon. Les joies de l'enfance avaient l'empreinte indélébile de l'insouciance. On découvrit avec une forte curiosité des hommes de même age, identiquement habillés et portant des armes qui avançaient au pas, par la nouvelle route creusée par des engins, vers notre école. On fréquentait encore cette école qu'on ne tardera pas à quitter. Elle sera brûlée quelques mois après, en avril 1956, par ses anciens élèves. Le boycott de la langue francaise, devenue langue des colons, mettait fin à notre scolarisation. Des cours d'initiation à la langue arabe nous seront dispensés durant quelques mois par Cheikh Ouali, ancien élève de la medersa  de Benbadis, dans l'ancienne mosquée.

A la djemaa, les débats étaient animés. Les hommes commentaient un journal que l'un d'eux lisait, le plus souvent Da Idir. Ils parlaient de petits hommes comme on en parlerait aujourd'hui de martiens. Ils avaient battus Iroumyen. Beaucoup d'événements se déroulaient autour de nous. Des gens étrangers au village venaient, en général, le soir. Souvent, les hommes, un par famille, étaient sollicités en fin de journée munis de pioches et de pelles pour couper des routes, des poteaux téléphoniques, ou monter la garde. 

Notre petit monde mutait. Des hommes, les nôtres, souvent jeunes étaient fiers de faire parties de groupes appelés communément moussebelines ou moudjahidin. Des drames faisaient leur apparition, des fiertés et des peurs aussi. Des hommes sont morts. Certains sont tombés héroïquement au combat comme Mokrane, d'autres sont abattus dans leur fuite comme l'autre Mokrane par l'Asker. Des gens du village sont tués par les frères pour des raisons qu'on ne connaissait et ne comprenait pas. Etre tué par les frères, c'est l'opprobre pour toute la famille. C'était expéditif. La vie ne semblait pas peser au décompte. Les haines accumulées par le passé remontaient en surface. Pour nous, enfants que nous étions, il y avait la guerre entre les moudjahidin et Iroumyen. On ne peut être que d'un coté, celui de nos frères. L'infortuné égaré entre ces deux mouvances fera  irrémédiablement partie des laissers pour compte, mis à l'index. Il ne fallait pas se trouver dans le lit de la déferlante. On était loin des réalités. Des événements troublaient notre quotidien. On ne connaissait pas les déchirements dans les rangs des frères. La mort de Da Yesmail fut reportée après que tout le village se soit ému, en fin d'après-midi. Il a eu une dispute avec celui qui était le chef de wilaya 3. On le voyait traverser le village, drapé dans son blouson d'ancien officier SS pour rejoindre Ath Ouavane, le PC de wilaya. Il venait de chez Da Salem, l'ex chef du centre communal, un élu du PPA/MTLD. Peu de temps s'est écoulé entre cet incident avant que les frères ne reviennent de nuit pour assassiner, au lieu-dit El Had oufella, à la sortie nord du village, Da Yasmail, son fils et l'ancien responsable du centre communal, cadre du PPA/MTLD. D'autres sont morts, tués loin du village comme Da Mbarek, D'Amer, Da Ouali, Ferhat. Ce dernier était le fils unique d'un père , Da Kaci, demeuré inconsolable et dont le visage ne rayonnait qu'entouré d'enfants. 

Si nos journées étaient calmes, les débuts de nuit prenaient une toute autre allure. Notre insouciance comblait notre misère, nos peurs. Sans école, notre temps étaient partagés entre les travaux champêtres et nos jeux préférés comme tikker, les batailles entre groupes. Dans ce genre de batailles, de jeux de guerriers, les plus agiles, les plus turbulents représentaient les moudjahidin contre le reste qui représentait l'Asker. Cette ambiance qui commençaient à meubler notre vie allaient connaitre des tournures plus dramatiques et désastreuses.  

Ces hommes étranges et étrangers, l'Asker, perturbaient la vie du village. Leurs visites se répétaient avec des drames et des destructions. Ils l'encerclaient souvent à l'aube. Ils traversaient le village et fouillaient les maisons à la recherche de moudjahidin. Ils repartaient avec des hommes valides, enchaînés, prisonniers, certains étaient tués sur place après avoir été torturé la journée durant. Des fois, ils sortaient dehors femmes, enfants, hommes , valides ou pas, sur la place du village, pour les maintenir au soleil ou au froid toute la journée. Ils prenaient le peu de victuailles qu'ils trouvaient mais surtout les poules après les avoir étêtées en prenant soin de détruire le reste. Ils souillaient les modestes réserves de nourriture et surtout l'huile d'olive. La vieille école, produit de Jules Ferry, laquelle jadis donnait le savoir, servait de centre de torture à ceux qui étaient soupçonnés d'activité dans la résistance à la présence francaise. Il en fut ainsi d'une journée particulière par son horreur ou la soldatesque francaise s'est livrée au tir au pigeon, la fameuse corvée de bois,  pour abattre trois hommes après les avoir torturé la journée durant, Afelassen ye3fou rabi: Da Emabrek Ay Dermeche, Boudjemaa Ath Si Ahmed, Belaid Ath Oumeziane.

 

A suivre...

Salay

 

 



31/08/2013
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